Sable mouvant : fragments de ma vie
Sable mouvant : fragments de ma vie / Henning Mankel (traduit du suédois par Anna Gibson) - Seuil, 2015 - 351 p. ; 21.50€ (bibli Hillion)
"Il y a un temps pour vivre et un temps pour mourir". (Wallander, héros des polars de Mankell)
Henning Mankell est décédé le 5 octobre à 67 ans des suites d'un cancer.
Cet ouvrage est son dernier livre. En quelque sorte, son testament littéraire, en tout état de cause une réflexion sur le sens de la vie, à travers la sienne et des personnes qu'il a rencontrées.
Ecrivain, homme de théâtre engagé, grand voyageur, il a vécu 100vies en une !
Anne-Françoise Hivert (de notre correspondante en Scandinavie) Libération 25/10/2015
"Après la période de choc, quand il apprend sa maladie, Mankell parvient à vaincre "l’appel du vide". Il ne s’est pas laissé engloutir. L’heure, cependant, est au bilan. Par petites touches, il donne à voir des «fragments de [sa] vie» (le sous-titre). L’ouvrage est à mi-parcours entre le roman d’introspection et l’essai politico-philosophique. On y découvre l’écrivain de gauche, homme de théâtre, qui passe sa vie entre la Suède et le Mozambique, qui s’est engagé pour la reconnaissance de la Palestine et s’interroge désormais sur ce qu’il restera de notre civilisation, une fois qu’elle aura disparu.
Quel est le sens de la vie ? La sienne, mais aussi celle de l’humanité ? Mankell est fasciné par Onkalo : cette énorme cavité, creusée dans la roche à 430 mètres sous terre, sur la côte ouest finlandaise, pour y enfouir les déchets nucléaires des centrales du pays. Ils devront y rester cent mille ans, avant de perdre leur dangerosité. Une éternité. Henning Mankell a voulu visiter le site, mais les Finlandais ont refusé de peur qu’il s’en serve comme théâtre du crime pour un de ses prochains polars.
Dans Sable mouvant, il s’interroge sur la place de l’homme dans l’histoire. On aurait pu s’ennuyer. Mais c’est avec le talent qu’on lui connaît qu’il distille les leçons d’histoire. Les peintures rupestres de la grotte de Chauvet en Ardèche, la sculpture en ivoire de l’homme-lion découverte en Allemagne en 1939, le temple d’Hagar Qim sur l’île de Malte, les statues moaïs des îles de Pâques… Autant de vestiges qui disent la splendeur des civilisations anciennes. Et de la nôtre, que restera-t-il ? D’énormes décharges nucléaires enfouies sous la terre ?
Henning Mankell ne moralise pas. Il raconte, en contrepoint, sa vie. «Ce qui a été, et ce qui est.» Pour la postérité peut-être. Pour nous tous. Il y a une universalité dans les rencontres qu’il décrit et les instants décisifs qui l’ont marqué. (...) Les femmes, le travail, les voyages et les doutes.
Qu’est-ce qui fait la vie d’un homme ? Il raconte la révolte d’un serveur, dans un petit restaurant de Salamanque, qui envoie valser son plateau, défait son tablier et se retrouve devant la vitrine d’une agence de voyages ; le soulagement d’une vieille femme qui apprend au téléphone que son mari ne va pas mourir ; la résilience de deux frères, gamins des rues de Maputo, qui dorment dans un carton de réfrigérateur au bord de la route ; le bonheur d’une jeune fille, dans un camp de réfugiés, qui retrouve ses parents après avoir été séparée d’eux pendant des années…
Le livre se termine le 9 mai 2014, dans le cabinet du Dr Bergman à Göteborg. La chimiothérapie a fonctionné. Henning Mankell n’est pas guéri. Le cancer est en rémission. Il écrit : «Je vis dans l’attente de nouveaux instants de grâce […]. Des instants qui viennent. Qui doivent venir, si la vie doit avoir pour moi un sens.»
si, comme moi, cet auteur vous intéresse, vous pouvez lire l'article le concernant dans Le Monde en suivant ce lien :
http://www.lemonde.fr/culture/article/2015/10/05/l-auteur-suedois-henning-mankell-est-mort_4782674_3246.html