Les contemplées

Les contemplées / Pauline Hillier - la manufacture de livres, 177 p. ; 18,90 € (bibli)

"C'est mon histoire et l'histoire de ma rencontre avec les tunisiennes que j'ai voulu placer au centre du roman".

"J'ai voulu rendre hommage à ces femmes tunisiennes, en les sortant, ne serait-ce que le temps d'un livre, de cette espèce de tombeau dans lequel la justice les jette".

Pauline Hillier, née en 1986, était militante des Femen à Paris et elle a participé, un peu partout, à de nombreuses actions au sein du mouvement. C'est dans ces circonstances qu'en 2013, elle est arrêtée à Tunis à l'issue d'une manifestation (seins nus) en faveur de la libération d'une militante tunisienne. (avec deux autres membres du groupe dont elle ne parle pas dans son récit, par respect, pour ne pas parler à leur place).

Elle se retrouve incarcérée à La Manouba, prison pour femmes, dans une cellule avec d'autres détenues. Dans cet espace clos, elle ne parle pas leur langue, ce qui ajoute une difficulté considérable. C'est ce témoignage romancé qu'elle nous livre, la découverte de ces femmes meurtries, niées qui partagent son quotidien carcéral. Elle décrit les codes et les hiérarchies qui structurent cet enfermenent mais aussi et surtout une sororité, bien au-delà de la raison de leur présence en ce lieu. Elle a voulu redonner une vie et une dignité à toutes ces femmes anonymes, coupables et/ou victimes, capables de s'unir face à l'injustice des hommes. Et c'est très réussi, vivant, touchant, sensible et pudique.

Très beau récit autobiographique, bouleversant  ! J'ai beaucoup aimé !! A lire !!!

"À la télé, à la radio, en interview, les 27 autres femmes de la pièce où j’ai été détenue à la Manuba, la prison de Tunis, sont avec moi. Ça donne du sens à ce que j’ai vécu, en écho à ce que l’une de ces femmes m’avait dit après une fouille à nu très éprouvante. Elle m’avait dit « toi, tu pourras le raconter »." (Pauline Hillier)

"L'infidélité d'une femme, réelle ou supposée, en plus de ruiner sa réputation, jette souvent l'opprobre sur sa famille tout entière. Les parents, les frères et les sœurs de Samira, s'estimant salis par son crime, lui ont tourné le dos. Quant à son mari, il ignore ses courriers et la prive de nouvelles de ses enfants. La communication rompue, tout espoir de libération anticipée s'est envolé, car il est le seul à pouvoir la faire sortir d'ici. Un courrier de sa part et Samira serait libre. Tel est le pouvoir olympien des maris sur leurs épouses. D'un pouce dans l'arène, ces petits césars scellent le destin des femmes qu'ils possèdent. Ils sont nombreux à utiliser cette loi pour se débarrasser d'elles et obtenir la garde de leurs enfants."

"Toutes mes visions du bien, du mal, de la justice, de la morale, sont remises en question. Les cartes de la vie sont rebattues, tout est à revoir. Je me défais peu à peu des préjugés moraux que je brandissais jadis avec l'arrogance d'un petit prêtre. Je désapprends. L'humanité s'est présentée à moi nue, dans ce qu'elle a de plus brut et de plus sincère, sans rien dissimuler de ses contradictions et de ses zones grises, faisant voler en éclats tous mes repères et me poussant à une introspection philosophique que je n'avais pas vue venir. Quand je promène mes yeux dans la pièce, je ne suis plus capable de distinguer les bonnes des mauvaises, les innocentes des coupables, les gentilles des méchantes. Ça ne marche plus comme ça. Et je comprends que la vie non plus ne marchera plus jamais comme ça."
(p.110)

Comments

[dasola]

Bonsoir, un très bon livre dont on se souvient très longtemps. Je regrette seulement de ne pas savoir ce que sont devenues les autres détenues. Bonne soirée.